Sites
de sondage et polémique
Contrairement
aux sondages statiques, les sites de sondages en ligne permettent
de suivre les tendances au plus près de l’élection,
par le fait d’être souvent « en direct ».
Mais loin de se heurter aux contraintes du code électorale,
et à celles relatives aux autorités administratives,
ils ont été au cœur de la dynamique de l’entre
deux tours. Ils ont aussi été comme les sondages
en général quels que soient les supports, sous le
feu des critiques.
En
effet, alors qu’en 1995, il y avait moins de 50.000 internautes
en France pour l’élection présidentielle, en
2002, près de 16.4 millions d’internautes français étaient
connectés le 21 avril (source Mediamétrie), la plupart
d’entre eux cherchant à prendre la mesure des résultats
du premier tour.
Dans
un arrêt en date du 4 septembre 2001, la Chambre criminelle
de la Cour de cassation a mis fin, sur le fondement de la liberté d'expression, à l'interdiction énoncée à l'article
11 de la loi du 19 juillet 1977, de diffuser la semaine précédent
le scrutin, tout sondage d'opinion relatif à une élection.
Néanmoins, la loi ayant été amendée
en la matière et remplacée par la loi du 19 février
2002, la publication de ces sondages est désormais interdite
dans les 48 heures avant lesdites élections. Ainsi, il devient
intéressant de s’interroger sur la licéité des
sondages en direct sur Internet ayant lieu le jour même de
l’élection, violant a priori la loi.
Enfin,
il est précisé que l’interdiction édictée
par loi du 19 février 2002 modifiant le régime des
sondages électoraux, "ne fait pas obstacle à la
poursuite de la diffusion des publications parues ou des données
mises en ligne avant cette date", et ne saurait ainsi
contraindre à retirer les sondages et leurs commentaires
des sites où ils auraient été publiés.
Ainsi,
la combinaison du principe de liberté d’expression énoncée
dans la Convention européenne des droits de l’homme, à laquelle
la France est partie, de la liberté de la presse (loi du
29 juillet 1881), de la relative restriction relative à la
qualification jurisprudentielle de sondage, a permis aux sites
de sondage directs d’opérer librement sur Internet.
Ajoutons néanmoins que le fait pour une institution d’héberger
son site diffusant des sondages électoraux illicites en
France, sur un serveur localisé à l’étranger,
ne l’exonère pas de l’infraction.
Il
est probable que si la réforme du code électoral
répond dans l’urgence à une question sensible,
elle ne résout pas toutes les questions ayant trait à la
publication des sondages. En particulier, la période de
48 heures où est interdite la publication risque de voir
se développer des pratiques destinées à contourner
la loi, par exemple par l’utilisation de liens hypertextes
vers des sites étrangers qui échappent à la
prohibition. On notera toutefois que la 17e chambre du Tribunal
de Grande Instance de Paris a statué le 6 avril 2001 et
condamné le directeur de la publication de l'hebdomadaire
Paris Match pour avoir, par la voie d'un lien hypertexte menant
sur une page hébergée sur le serveur américain
Geocities, diffusé un sondage pendant la période
de 48 heures précédant un scrutin.
Par
ailleurs, les sondages sont accusés d’avoir favorisés
l’élimination de Lionel Jospin du second
tour de l’élection présidentielle et
d’avoir fait le jeu de Jean-Marie Le Pen.
"Nz
s'interroge et accuse: «Qu’est-il arrivé à la
France et que s’est-il passé dans la tête des électeurs,
où est l’erreur ? Vous pouvez chercher dans la dispersion
de la gauche, dans la contestation du bilan de Jospin, dans l’absence
de débat politique dans la campagne, ou encore dans l’abstention,
vous avez peut-être raison. Moi, j’accuse le matraquage
des sondages et les erreurs de comportements qu’ils provoquent.. "
Les
détracteurs des sondages en demandent l’interdiction entre
les deux tours « au nom du combat contre l’extrémisme» et
de la mobilisation générale contre Jean-Marie
Le Pen. Après. Au-delà de la nécessité de
poursuivre une mission d’information sur l’état
de l’opinion, les diffuseurs de sondages ont avancé un
certain nombre d’arguments pour justifier leur position.
« Les
sondages n’ont rien vu venir avant le premier tour,
ils ne verront rien avant le second tour ». La vocation des
enquêtes n’est pas de prédire au
point près le résultat du vote. Il
y a eu des grandes difficultés à photographier une
opinion hésitante, fluctuante et rétive à l’interrogation.
L’avant-veille du premier tour, 41% des Français n’avaient
pas choisi. On a parlé d’exceptionnel
niveau d’indécision du corps électoral.
Et partant sur l’impossibilité de prévoir
avec certitudes les résultats.
Quant à parler
de « faillite des sondages » comme le font
certains, c’est ignorer la réalité. Tout au
long de la campagne de premier tour les enquêtes
ont fort bien mesuré les percées et
les phénomènes d’érosion de Jean-Pierre
Chevènement et d’Arlette Laguiller. Le niveau
des « petits candidats », censés pourtant
se situer dans la zone d’imprécision statistique,
a été justement apprécié, de
même que la dégradation continue des positions de
Lionel Jospin et de Jacques Chirac, mais aussi la progression impressionnante de
Jean-Marie le Pen et la montée en puissance
du vote potentiel en faveur des extr&ecir c;mes. Le
choc psychologique du premier tour fausse la perspective :
on croit que les sondages ont eu « tout faux » parce
qu’ils n’ont pas vu que la courbe de Jean-Marie Le
Pen croiserait celle de Lionel Jospin, mais si l’on
compare les dernières enquêtes au résultat
final, on constate que le différentiel demeure dans les
limites strictes de la marge d’erreur statistique, que les
instituts n’ont jamais cessé de mettre en avant.
Il
ne s’agit pas bien sûr de nier la difficulté,
réelle, à capter l’intention de
vote favorable à Jean-Marie Le Pen. Mais ceux
qui exigent plus, c’est à dire un
pronostic à coup sûr nient la nouvelle situation
de volatilité électorale et par
la même la liberté ultime des électeurs.
« L’instrument
ne serait plus en mesure de cerner la tendance pré-électorale » :
Pour pouvoir être aussi sûr
d’une telle affirmation, quelle meilleure solution
que de continuer à mener des
enquêtes ? Les équipes d’Ipsos ont
enregistré dans le sondage publié le
29 avril 2002 une nette baisse du niveau de refus opposé à l’interview.
A ceux qui considèrent qu'il n’est plus possible
d’interroger sérieusement les Français,
une question s’impose : en quoi serait-ce plus facile à l’approche
des législatives, la plus complexe de tou tes les élections ?
Personne bien sûr ne doute des limites de l’instrument
d’intention de vote. Il reste néanmoins
la meilleure clarification face à toutes les
rumeurs. Il a par ailleurs toujours été accompagné d’éléments d’information sur
le climat de campagne, l’image et la crédibilité des candidats,
l’impact des enjeux de campagne. La richesse des
données publiées va dans le
même sens
« Un
sondage donnant l’impression d’une défaite assurée de Jean-Marie
Le Pen est dangereux. » Un sondage
d’intentions de vote ne peut pas avoir comme fonction
ultime l’incitation au vote, moins encore au vote en faveur
de tel ou tel. Il n’est en rien une prédiction
et s’il devait offrir une garantie absolue, le
choix démocratique par le vote en
serait singulièrement dévalué. Et que diraient les
partisans de la censure si des enquêtes sérieusement
conduites mais non publiées faisaient apparaître une progression
forte du président du Front National e n fin
de semaine ? Faudrait-il alors changer une nouvelle fois
la règle sous prétexte de mobiliser
les indécis ? L’obsession de « l’effet
sondage » apparaît en réalité comme une manifestation
singulière d’absence de confiance dans les électeurs.
Source
d’information précieuse en campagne électorale, le
sondage n’en demeure pas moins soumis à une
obligation de prudence dans son interprétation. La
nouvelle tendance d’intentions de vote sera désormais « encadrée » par
des niveaux minimum et maximum calculés à partir
du niveau d’hésitation des électeurs
en faveur des solutions alternatives : le vote pour l’adversaire,
le vote blanc, nul et l’abstention. Pour qu’il
soit bien clair aux yeux de tous qu’un sondage ne saurait être
autre chose que ce qu’il prétend être :
un instrument imparfait mais irremplaçable, au service d’une
démocratie adulte.
'cartographie
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