Une
illusion?
Si
Internet est bien un espace d’échanges, un espace
social au sens large, il n’est pas sûr qu’il
constitue véritablement un espace public, du fait de la
non-inscription spatiale et corporelle des rapports sociaux qu’il
implique. Cette conception d’Internet pourrait bien n’être
qu’un vœux pieux, une illusion que se donnent et cherchent à créer
certains technophiles.
Les
détracteurs les plus acharnés de cette position dénoncent
la menace de la perte de l’autre, passant par le déclin
de sa présence physique au profit d’une présence
immatérielle et donc faussée, voir fausse.
Les Nouvelles technologies de l’Information et de la Communication
(NTIC) entraîneraient alors un risque de désintégration
de la communauté et non son renforcement. La dissolution
du politique serait à craindre. L’impression –forcément
fausse- d’être proche du lointain s’accompagnerait
d’une absence au proche et la perte du corps propre qui s’accomplit
au sein du réseau irait de pair avec celle du corps de l’autre.
Paul
Virilio estime ainsi que nous vivons dans l’illusion de la
vitesse salvatrice. Il rappelle que Paul Klee écrivait que « définir
isolément le présent, c’est le tuer ». Selon
lui le temps réel des télécommunications ne
s’oppose pas seulement au passé, il s’oppose également
au présent. Or, « isoler ‘le
présent’consiste surtout à isoler le ‘patient’, à l’isoler
définitivement du monde actif de l’expérience
sensible de l’espace qui l’entoure […] il n’y
a pas comme l’espérait Marshall Mc Luhan de ‘village
global’, mais un pôle d’inertie qui fige le monde
présent en chacun de ses habitants» (« Les illusions du temps zéro »).
De
manière plus nuancée, Elizabeth Reid rappelle également
la nécessité de l’inscription corporelle et
spatiale de l’espace public. La coexistence des identités
rendue possible sur le Net (par le biais des pseudos, inscriptions
sur différents forums de discussion, etc.) ne permet pas
d’élaborer les compromis nécessaires à l’autogestion
d’un groupe. Aussi elle estime que « les communautés
ne sont pas des agoras, ne constituent pas un espace public libre
et ouvert » (« Dissolution
and fragmentation : problems in on-line communities »).
Rappelons
ici la définition que donne Mark Poster de l’espace
public (cité par P. Flichy, L'imaginaire
d'Internet). Selon lui il possède trois caractéristiques :
1) il permet un débat entre égaux ; 2) au sein
de ce débat les arguments rationnels prévalent ;
3) le consensus est recherché. Il semblerait que le Net
ne remplisse que la première de ces caractéristiques.
Le
Net ne semble donc pas remplir les conditions nécessaires
pour constituer véritablement un nouvel espace public, surtout
si l’on prend pour étalon de celui-ci l’agora
athénienne, au sein de laquelle le débat entre égaux était
matérialisé par la présence physique des orateurs.
Ceci
posé, il ne saurait être pour autant être question
de nier les potentialités politiques du Net. A défaut
d’être un espace public révolutionnant la conception
du politique, celui-ci est bien est espace social, un lieu d’échanges
quelque peu « à part », certes,
mais en interaction constante avec le restant de la société.
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